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  • Gaz de schiste : nouvelles réflexions en France ? 

    Publié le 20 Juillet 2014  



    Lien vers l'article original : ici

    Les incertitudes à l’Est et la compétitivité américaine déclenchent de nouvelles réflexions en France, encore assez divergentes.


    L’Institut Montaigne et Terra Nova viennent de publier deux textes qui parlent longuement des gaz de schiste, pour adopter par commodité le terme utilisé en France pour tout ce qui concerne les hydrocarbures non conventionnels, liquides ou gazeux. La simultanéité de ces deux publications est en elle-même intéressante : vient-elle de l’inquiétude face à un risque de choc gazier lié aux tensions russo-ukrainiennes, c’est-à-dire une augmentation forte des prix comme naguère pour le pétrole ? De l’inquiétude face aux risques d’une pénurie de gaz que la conjonction de la douceur du dernier hiver et de la crise économique nous a épargnée jusqu’ici ? De la constatation que la restabilisation du monde de l’énergie après le choc de Fukushima s’avère plus lente que beaucoup ne pensaient en 2013 , qu’il s’agisse du nucléaire ou des hydrocarbures ? 

    À lire ces deux textes de l’Institut Montaigne et de Terra Nova, on est d’abord frappé d’un "oubli de mode commun" : l’absence d’autocritique, en particulier pour analyser le fait que si peu des acteurs industriels, académiques, politiques ou administratifs aient vu venir la révolution énergétique qui se produit aux USA à partir de 2007/2008. Bien sûr le retour d’expérience est toujours une démarche de remise en cause que personne n’accepte sans réticence, au moins tant que la sortie de crise ne fait pas consensus. Sur ce point, je ne peux pour ma part que réinsister sur les pistes que j’avais publiées ici le 27 février dernier.

    Mais la "lecture croisée" de ces deux textes est finalement extrêmement instructive, chacun apportant – en particulier par la documentation à laquelle il se réfère – des éléments de réponse aux questions soulevées dans l’autre document. C’est un peu pirandellien, mais cela permet au moins de comprendre les dangers que pourrait entraîner la mise en œuvre naïve de telle ou telle des solutions miracles esquissées : ainsi personne n’a-t-il vraiment intérêt ni à provoquer un nouveau Notre Dame des Landes ni à démontrer qu’on pourrait en France faute d’acceptation partagée de l’enjeu accroître les délais administratifs, les incertitudes et les coûts au point de supprimer tout intérêt au sujet. 

    Un point de consensus me paraît représenter un progrès très intéressant : l’idée que la compétence de beaucoup d’entreprises et de techniciens français est très appréciée dans la plupart des pays concernés. Quelle qu’en soit l’issue, l’évolution des représentations et des lois prendra certainement chez nous encore 2 ou 3 ans et il faut que dans l’intervalle nous veillions à continuer à investir dans maîtrise de la technologie et la formation des jeunes, en évitant que le débat national ne les détourne d’un champ d’activités qui sera à coup sûr important sur tout ou partie du globe. Et le besoin va concerner l’ensemble des technologies impliquées dans la connaissance et la modélisation de la géologie, dans la maîtrise des forages, dans la protection de l’eau ou dans la conception de la logistique. 

    Le texte de l’Institut Montaigne dont l’écriture a été pilotée par Jean-Pierre Clamadieu a le grand mérite de redonner l’alerte sur la conséquence que va avoir très vite le différentiel de prix de la matière première sur la compétitivité de la pétrochimie et de l’industrie des plastiques des différents continents. On a trop tendance dans les débats français sur l’énergie à raisonner avec les échelles de temps de l’équipement hydroélectrique des vallées alpines dans les années 50 : ici, la non-rentabilité d’une unité de la pétrochimie la fait disparaître en 4 ou 5 années. Et de surcroît la hausse des prix de l’énergie est pour tous les consommateurs, ménages comme entreprises, un facteur d’autant plus mal accepté qu’il apparaît dériver essentiellement de choix ou de non-choix des autorités nationales ou européennes. 

    Dans le texte de Terra Nova, Gilles Darmois a bien raison d’appeler l’attention sur la déclaration faite à Bruxelles le 21 mai par Donald Tusk, le premier ministre polonais, même s’il ne faut pas réduire ses propositions à l’idée de constituer un "acheteur européen unique". En tout état de cause, force est de noter que les deux textes constatent l’inadéquation d’une stratégie européenne qui, essentiellement commandée par la volonté de développer des mécanismes de marché et de concurrence libre et non faussée, aboutit à mettre trop peu l’accent sur la création ou le renforcement des infrastructures. Quels schémas d’organisation pourrait-on ici recommander pour la planification et le financement d’infrastructures européennes, qu’il s’agisse d’interconnexions, de stockages ou de terminaux méthaniers ? Les temps sont nécessairement longs par rapport à l’urgence sur laquelle insiste J.P. Clamadieu, mais ceci peut être déterminant même simplement comme signal dans la fixation des prix. 

    Les deux textes insistent enfin sur l’impact négatif qu’aura eu depuis 5 ans sur les questions d’hydrocarbures non conventionnels le mauvais état du droit minier français et de la fiscalité spécifique. Qu’il s’agisse de tirer la leçon de permis mal délivrés et mal annulés, qu’il s’agisse de concevoir une fiscalité qui soit autre chose que la compensation de l’usure des routes, mais répartisse correctement une rente réelle entre l’État, les Régions, les départements et les communes, avec des règles modernes d’amortissement et de provisionnement, il y a clairement matière à progrès

    Serait-il sage de penser qu’on aurait plus de facilité à ne traiter que le seul cas des gaz de schiste et non la totalité de ce qui relève du Code minier ?


    C’est implicitement ce que suggèrent les rapports, mais il me semble que ce serait un mauvais choix : si nous avons besoin d’un droit minier moins dispersé, plus fiable et mieux appliqué, c’est notamment pour ne pas de recommencer dans le cas d’autres substances les fautes de management que nous n’avons les uns et les autres pas su éviter ici. Au demeurant, paradoxalement, traiter l’ensemble des matières minières sera peut-être plus simple, plus acceptable et plus rapide qu’une réflexion limitée au gaz de schiste. De la même façon, on ne peut concevoir en se limitant aux gaz de schiste l’investissement public à réaliser pour constituer des bases de données, avoir un "référentiel géologique de la France" moderne qui concernera plus qu’une fraction limitée des Pyrénées (!), créer une ou des carothèques assurant la conservation des échantillons… 

    Les deux textes évoquent aussi plus ou moins explicitement l’argument souvent entendu selon lequel une ressource présente dans le sous-sol ne peut que prendre de la valeur et que le plus raisonnable serait toujours d’attendre. On aimerait qu’un économiste explique rapidement en quoi cette posture est non rationnelle et, dans le cas présent, montre l’intérêt qu’il y aurait si la protection de l’environnement est assurée à remplacer 1 milliard d’euros d’achat à Statoil ou Gazprom par le même montant payé en France en salaires et impôts. L’enjeu serait important même s’il ne faut pas rêver d’un Eldorado ni d’un effondrement des prix identiques à ce qui a été obtenu aux USA.

    Quelles différences essentielles entre les deux approches ?


    Sans doute d’abord un grand décalage entre les références temporelles : pour J.P. Clamadieu, le regard est surtout orienté – au prix de l’oubli des évènements antérieurs – sur ce qui se passe depuis 2 ou 3 ans, sur le fait qu’il est démontré aux USA et en Angleterre qu’on sait faire des exploitations propres et sûres et que l’impact économique est d’ores et déjà évident, directement, et via la compétitivité de la chimie américaine et des exportations de charbon. Pour G. Darmois, le panorama reste largement marqué par les images de Gasland, les dysfonctionnements des débuts de la fracturation hydraulique et l’idée que les faibles prix de revient aux USA résultent essentiellement d’une bulle spéculative (qui serait étonnamment durable); il pense aussi manifestement que le mieux est d’attendre le résultat des efforts engagés pour rendre le biogaz compétitif. Sans doute aussi pense-t-il surtout qu’on peut arriver rapidement à la constitution d’un "acheteur européen unique" qui corrigerait la dissymétrie entre les quelques grands exportateurs de gaz et les pays de l’Union européenne. L’objectif est certainement important, le modèle européen actuel appelant en tout état de cause une vraie réévaluation.

    Que conclure de ce regard croisé ? 


    D’abord, que la géopolitique de l’énergie a considérablement changé depuis 3 ans et que l’opinion française le sent bien. Ensuite, qu’il est essentiel sur un plan général de nous mettre à jour en ce qui concerne un code minier moderne, une fiscalité, un Référentiel géologique national… Enfin, qu’il faut au plus vite nous immerger dans un espace européen, en organisant des échanges de thésards avec les universités britanniques, polonaises ou danoises, en structurant les contacts entre experts, ONG, élus de notre pays et des 3 ou 4 pays européens où le sujet est le plus actif, en poussant nos entreprises à consolider leur présence dans chacun de ces pays. Il ne doit pas être difficile d’aboutir d’ici la fin de 2015 à une vision mieux partagée du dossier des avantages et inconvénients pour l’économie, l’environnement local et le climat global de la mise en œuvre de la fracturation hydraulique telle qu’elle se présente aujourd’hui. 

    L’enjeu en termes d’emploi et en termes économiques est manifestement important et il me semble qu’on aurait tort de prendre le risque de ne pas lancer très vite le travail de réévaluation transparente de la vision actuelle des termes de référence : personne n’a intérêt à ce qu’un forage de démonstration ou de reconnaissance tel que recommandé par l’un ou l’autre des deux textes devienne illico un site de manifestations ingérables parce que nos concitoyens ne verraient pas l’intérêt du projet. Personne n’a non plus intérêt au maintien indéfini d’un statu quo qui profiterait essentiellement à la création de valeur ajoutée et d’emplois aux USA, en Russie, en Grande-Bretagne ou en Chine.

    © Philippe Vesseron - Les echos.fr


     
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