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  • Gaz de schiste : l’Australie perd le Nord

    Publié le 02 Juin 20187  



    Lien vers l'article original: ici

    En 2016, un député écologiste a mis le feu à la rivière Condamine pour dénoncer la présence dans l’eau de méthane liée
    à la fracturation hydraulique. Capture d’écran YouTube.

    Les habitants du Territoire du Nord protestent contre la décision de leur exécutif local de lever un moratoire sur la fracturation hydraulique. Un choix qui tranche avec les engagements pris par le pays lors de l’accord de Paris.

    Le bruit des sabots résonne sur le bitume du campus de l’université de Darwin, capitale du Territoire du Nord australien. Daniel Tapp, chapeau de cow-boy sur la tête et pieds à l’étrier, fait tournoyer son fouet avant de le faire claquer au sol. L’éleveur scande «Gunner gonna go» («Gunner va s’en aller»), du nom du chef de l’exécutif du Territoire du Nord, repris en chœur par la centaine de personnes présentes le 12 mai. Parmi eux, des militants écologistes, des fermiers, des représentants de différentes communautés aborigènes, ou bien de simples habitants accompagnés de leurs enfants. Tous sont venus porter un message au Parti travailliste qui tient au même moment sa conférence annuelle dans les locaux de l’université : non à la fracturation hydraulique.

    «Terre mère»

    Cette technique très controversée consiste à injecter à très haute pression de grandes quantités d’eau, de sable et de centaines de produits chimiques pour fracturer la roche en profondeur et libérer le gaz. Alors que plusieurs pays, à l’instar de la France, ont récemment légiféré pour interdire cette pratique, le gouvernement du Territoire du Nord fait machine arrière. Le 16 avril, le chef du gouvernement, Michael Gunner, a annoncé la levée d’un moratoire sur le «fracking» datant de 2016 et espère lancer les premières exploitations de gaz de schiste dès l’année prochaine. Au sein du Territoire du Nord, (1,4 million de km², soit environ deux fois la France), 51 % des terres seront concernées. Un certain nombre de zones, incluant les villes, les parcs nationaux ou encore les réserves seront néanmoins préservées.

    Le gouvernement a appuyé sa décision sur les résultats d’une étude de quinze mois sur les risques environnementaux, sociaux et économiques associés à cette pratique. Le rapport final conclut que si 135 recommandations sont mises en place, «les risques liés à la fracturation hydraulique peuvent être réduits à des niveaux acceptables». Insuffisant pour convaincre la population. «Nous nous sommes sentis absolument trahis par le gouvernement, commente Lauren Mellor, de l’ONG Frack Free NT Alliance. Les gens rejettent massivement cette industrie. Comment peut-il aller contre la volonté du peuple ?» Même discours du côté des communautés aborigènes, qui redoutent la pollution de leurs terres et de leur eau, partie intégrante de leurs traditions et de leur survie. «On parle de la Terre mère. Quand ils utilisent la fracturation hydraulique, pour nous c’est comme s’ils ouvraient le ventre d’une mère pour lui prendre son bébé», explique Miliwanga Wurrben, venue manifester la veille à Katherine, deuxième ville du territoire située à 300 kilomètres de la capitale.

    Les risques environnementaux sont bien connus : gaspillage d’eau, perte de la biodiversité, risque systémique ou encore pollution des nappes phréatiques. En 2016, les images du député écologiste australien Jeremy Buckingham mettant le feu à la rivière Condamine (dans l’Etat voisin du Queensland) à l’aide d’un simple allume-gaz faisaient le tour du monde. Il voulait dénoncer les rejets de méthane dans l’eau, provoqués selon lui par la fracturation hydraulique pratiquée par l’entreprise d’extraction de gaz Origin Energy.

    La communauté scientifique fait elle aussi part de son inquiétude. Dans une lettre adressée au gouvernement le 27 février, soit peu de temps avant l’annonce du chef de l’exécutif, 31 scientifiques et doctorants australiens l’exhortaient à ne pas lever le moratoire sur la fracturation hydraulique mais à accélérer au contraire la transition vers les énergies renouvelables. «La décision est en totale contradiction avec les engagements pris par l’Australie lors de l’accord de Paris sur le climat [une réduction de ses émissions de gaz à effet de serre de 26 % à 28 % d’ici à 2030 par rapport au niveau de 2005, ndlr], s’insurge Will Steffen, expert du changement climatique au Climate Council. Pour limiter la hausse des températures à 1,5 degré, il est absolument clair qu’aucune nouvelle réserve de combustible fossile - classique ou via des gisements de gaz non conventionnels nécessitant la fracturation hydraulique - ne doit être développée.»

    Boom

    L’Australie est encore loin du compte. Selon le dernier rapport de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) sur le pays, publié en février, les énergies fossiles y représentent 85 % du mix énergétique, avec encore une grande place accordée au charbon (l’Australie dispose de la quatrième réserve mondiale). Le pays, qui dispose d’une géologie et d’une industrie similaires à celles des Etats-Unis et du Canada, a dans son sol d’importantes ressources de gaz naturel. Mais elles ne sont pas extensibles, et les compagnies misent davantage sur les exportations pour le marché mondial. Or, en septembre, de nouveaux rapports de l’Australian Energy Market Operator (AEMO) prédisaient une pénurie de gaz massive en 2018 pour le marché domestique australien, chiffrée à 110 pétajoules, soit un sixième de la demande annuelle. «Quand on regarde les plus grands terminaux d’exportation de gaz naturel liquéfié (LNG) dans le Queensland, ils n’ont pas assez de ressources sur le long terme pour maintenir la production et cherchent désespérément à obtenir n’importe quel gaz n’importe où», commente Gavin Mudd, professeur au département de l’ingénierie environnementale à l’université RMIT de Melbourne. Le gouvernement fédéral accuse les Etats de bloquer les projets d’exploitation de gaz naturel et de limiter l’offre disponible. «Je voudrais que tous les moratoires et interdictions de part et d’autre de l’Australie soient levés, car plus de gaz est bénéfique pour les emplois ainsi que pour la sécurité et l’approvisionnement énergétique», déclarait il y a peu le ministre de l’environnement et de l’énergie, Josh Frydenberg. Des moratoires sur la fracturation hydraulique sont en effet toujours en cours dans les Etats de la Nouvelle-Galles-du-Sud, de l’Australie-Occidentale et de la Tasmanie. Le Victoria a quant à lui totalement banni cette technique l’année dernière.

    Inspiré par le modèle américain, Michael Gunner espère que lever le moratoire sur la fracturation hydraulique permettra un boom économique et de nouvelles créations d’emplois. Mais, selon le rapport sur lequel l’exécutif s’appuie, le scénario le plus probable résultant de la mise en place de cette industrie est un «échec du point de vue commercial». «Dans le meilleur des cas, l’évaluation économique prédit une faible, très faible, probabilité de 524 emplois créés, analyse Roderick Campbell, de l’Australia Institute, un think thank indépendant basé à Canberra. La fracturation hydraulique est très intensive en capital : elle utilise beaucoup de machines et d’infrastructures, mais n’emploie pas beaucoup de gens.»

    Les opposants à la fracturation hydraulique dénoncent en outre un important lobbying. «Les industries minières et gazières sont très puissantes sur le plan politique. Il est courant de voir d’anciens dirigeants politiques travailler désormais pour des sociétés minières et gazières, ajoute Roderick Campbell. J’ai participé à une réunion dans le bureau du ministère où ils buvaient leur café dans des tasses à l’effigie d’Appea, l’Australian Petroleum Production and Exploration Association.» Si la lutte contre le projet de fracturation hydraulique peine encore à mobiliser les foules, les militants ont connu le 12 mai une première victoire. Au terme de la conférence annuelle du Parti travailliste, deux tiers des membres ont voté contre la fracturation hydraulique, plaçant Michael Gunner en minorité au sein de son propre parti. Si les motions et résolutions adoptées par la conférence annuelle n’ont pas de valeur contraignante pour le gouvernement en place, elles ont au moins le mérite de montrer les divisions politiques internes au sujet de la fracturation hydraulique. «La bataille ne fait que commencer», prévient Lauren Mellor.


    © Estelle Pattée envoyé spéciale à Darwin (Territoire du Nord) pour liberation.fr


     
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