La préservation de l’environnement dans la Constitution vue par le Sénat : « une formule tout aussi inutile »
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Publié le 10 Mai 2021
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Les commissions des lois et de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat ont modifié, les 4 et 5 mai, le projet de loi constitutionnelle complétant l'article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l'environnement. Arnaud Gossement, avocat spécialiste du droit de l'environnement, analyse pour la Gazette cette nouvelle formulation.
Réunies les 4 et 5 mai, la commission des lois et celle de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat se sont penchées sur le projet de loi constitutionnelle complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l’environnement, avant que le texte ne soit discuté en séance publique le 10 mai.
Après avoir réuni une table-ronde de juristes spécialistes de droit de l’environnement, ces deux commissions ont modifié la formulation de ce projet adopté à l’Assemblée le 16 mars. Elles ont opté pour la formulation suivante : « [La France] préserve l’environnement ainsi que la diversité biologique et agit contre le dérèglement climatique, dans les conditions prévues par la Charte de l’environnement de 2004. »
Arnaud Gossement, l’un des avocats invités à cette table-ronde, analyse ce nouvel arbitrage.
Arnaud Gossement, l’un des avocats invités à cette table-ronde, analyse ce nouvel arbitrage.
Vous aviez formulé plusieurs critiques sur ce projet de révision. Que pensez-vous de ces modifications ?
La phrase n’est pas moins ou plus ambitieuse que sa première version. Elle reste en fait tout aussi inutile. Le sujet reste le même : on réduit le devoir de protection de l’environnement à la France, et selon le rapport de la commission des lois, cela signifie en fait l’Etat. Or l’article 2 de la Charte ne réduit pas ce devoir à la France, mais englobe toute personne : « Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement. » C’est une régression que de conserver ce sujet.
Ils ont remplacé la formule « garantit la préservation » par « préserve » : pour moi, il y a zéro différence. Aucune jurisprudence ne permet d’affirmer que « garantit la préservation » est plus fort que « préserve ». A l’article 2 de la Charte, on a « préservation et amélioration de l’environnement ». On a donc là aussi une régression : il ne suffit pas de contenir le problème, mais aussi de le préserver. L’article 2 est beaucoup plus ambitieux que cette proposition.
Je dirais même que cette phrase est dangereuse. L’article 11 de l’avis rendu par le Conseil d’Etat sur ce projet relevait déjà des risques. Les deux commissions proposent toujours de saucissonner la notion d’environnement. Le Conseil d’Etat a bien indiqué que scientifiquement, ce serait absurde, car l’environnement est un tout. Eau, déchet, changement climatique … Tout est lié. Mais il y a aussi des risques juridiques, et le Conseil d’Etat en a notamment relevé un : l’article 34 de la Constitution dispose que la loi détermine les principes fondamentaux de la préservation de l’environnement. Si la formulation de ce projet de loi maintenait cette distinction entre environnement, diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique, alors on pourrait se demander si la loi pourrait toujours s’emparer de ces deux derniers sujets.
Quant à cette référence explicite à la Charte de l’environnement, les membres de ces commissions semblent anticiper d’éventuels conflits entre la Charte et cette nouvelle rédaction de l’article 1 de la Constitution. Dans ce cas, il faut bloquer la réforme, et non proposer ce pansement. Cela témoigne d’un malaise du Sénat, mais ça ne change rien au faut qu’il faille se passer de cette phrase.
Ils ont remplacé la formule « garantit la préservation » par « préserve » : pour moi, il y a zéro différence. Aucune jurisprudence ne permet d’affirmer que « garantit la préservation » est plus fort que « préserve ». A l’article 2 de la Charte, on a « préservation et amélioration de l’environnement ». On a donc là aussi une régression : il ne suffit pas de contenir le problème, mais aussi de le préserver. L’article 2 est beaucoup plus ambitieux que cette proposition.
Je dirais même que cette phrase est dangereuse. L’article 11 de l’avis rendu par le Conseil d’Etat sur ce projet relevait déjà des risques. Les deux commissions proposent toujours de saucissonner la notion d’environnement. Le Conseil d’Etat a bien indiqué que scientifiquement, ce serait absurde, car l’environnement est un tout. Eau, déchet, changement climatique … Tout est lié. Mais il y a aussi des risques juridiques, et le Conseil d’Etat en a notamment relevé un : l’article 34 de la Constitution dispose que la loi détermine les principes fondamentaux de la préservation de l’environnement. Si la formulation de ce projet de loi maintenait cette distinction entre environnement, diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique, alors on pourrait se demander si la loi pourrait toujours s’emparer de ces deux derniers sujets.
Quant à cette référence explicite à la Charte de l’environnement, les membres de ces commissions semblent anticiper d’éventuels conflits entre la Charte et cette nouvelle rédaction de l’article 1 de la Constitution. Dans ce cas, il faut bloquer la réforme, et non proposer ce pansement. Cela témoigne d’un malaise du Sénat, mais ça ne change rien au faut qu’il faille se passer de cette phrase.
Que préconisez-vous alors ?
Abandonner cette réforme. Sur la forme, que la commission propose un texte différent signifie que le sénat va adopter une phrase différente de celle retenue par l’Assemblée nationale. Or, l’article 89 de la Constitution impose d’adopter la même phrase à la virgule près. Par conséquent, pour obtenir la même version dans les deux chambres, la navette peut être infinie et à l’évidence, elles ne se mettront pas d’accord. Et comme l’élection présidentielle se rapproche, on imagine mal que cette réforme fasse l’objet d’un referendum avant l’élection. Cela neutralise le processus de révision.
Enfin, selon une note d’avril 2021 du ministère de la justice, consacrée au traitement du contentieux de l’environnement par la justice pénale, seulement 16% des infractions environnementales, en matière pénale, ont fait l’objet, l’an dernier, d’une sanction par un juge. Aujourd’hui, plutôt que de parler de symboles, je milite pour des moyens : il faut davantage de fonctionnaires dans l’administration centrale et dans les collectivités, des juristes en droit de l’environnement en masse. Pendant qu’on parle de cette réforme, des juges ont besoin de plus de moyens.
Enfin, selon une note d’avril 2021 du ministère de la justice, consacrée au traitement du contentieux de l’environnement par la justice pénale, seulement 16% des infractions environnementales, en matière pénale, ont fait l’objet, l’an dernier, d’une sanction par un juge. Aujourd’hui, plutôt que de parler de symboles, je milite pour des moyens : il faut davantage de fonctionnaires dans l’administration centrale et dans les collectivités, des juristes en droit de l’environnement en masse. Pendant qu’on parle de cette réforme, des juges ont besoin de plus de moyens.
© Lena Jabre pour lagazettedescommunes.com
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