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  • Retourner l'Etat

    Publié le 29 Janvier 2024  



    Lien vers l'article original: ici

    Des milliers de panneaux signalétiques d'entrée de commune ont été retournés partout en France, traduisant
    une action de la FNSEA et des Jeunes Agriculteurs pour constester la politique agricole gouvernementale.
    Ici à Tréméloir, dans les Côtes-d'Armor (Herve Ronne/REA)

    Les agriculteurs qui retournent des panneaux de villes pour signifier que le pays « marche sur la tête » témoignent, selon Gaspard Koenig, d'une révolte « à la fois discrète et généralisée » contre la bureaucratisation.

    Depuis plusieurs mois, on découvre partout en France des panneaux retournés à l'entrée des ville. J'en ai vu pour la première fois à Pontarlier (Doubs), en novembre, et j'en ai encore aperçu dans l'Orne.

    La presse nationale n'y a consacré que des entrefilets ironiques, mais la presse locale s'empare régulièrement du sujet. Il n'est pas anodin de voir tous les jours le nom de sa commune à l'envers, comme si la terre et le ciel s'étaient inversés, que la pesanteur était suspendue ou que notre alphabet avait soudain changé de sens.

    Révolte et bienveillance


    La réalité est plus modeste. Le syndicat des Jeunes Agriculteurs a lancé une campagne de protestation contre « l'asphyxie administrative ». Ces gaillards savent dévisser un panneau la nuit. Leur mot d'ordre, parfois griffonné à côté de leur forfait : « On marche sur la tête. » Le soutien, ou tout au moins la bienveillance de la plupart des maires, formellement chargé de la signalisation routière, montre à quel point cette impression est partagée par l'ensemble de la population.

    « On marche sur la tête » représente une revendication politique bien singulière. Il ne s'agit pas de réclamer davantage de financement ni de refaire le monde, mais d'exiger une loi intelligible et cohérente. C'est peut-être la première fois que la bureaucratisation croissante du pays, produit conjugué de l'inflation normative, de la recentralisation administrative et de la numérisation des procédures, alimente une révolte à la fois discrète et généralisée.

    Ces panneaux auraient pu être retournés par les chercheurs du CNRS pétitionnant contre leurs logiciels d'ordres de mission ; par les contribuables perdus dans les nouvelles déclarations de biens immobiliers ; par les réparateurs de vêtements découvrant les modalités du dernier crédit d'impôt en fonction de la longueur des braguettes ; par les écrivains s'arrachant sur les cheveux sur les méandres byzantins du statut d'artiste-auteur (êtes-vous dispensé de précompte ? inscrit au régime du BNC ?) ; par les motards désormais soumis au contrôle technique de leur véhicule ; par les candides de la rénovation énergétique cherchant à bénéficier de MaPrimeRénov' ; par les bénéficiaires du RSA découvrant les modalités kafkaïennes du nouveau « contrat d'engagement réciproque »…

    Bon sens


    Le bon sens semble ainsi en passe de devenir, pour paraphraser Descartes, le désir politique le mieux partagé. Il impliquerait de laisser toute leur place au jugement individuel et à la responsabilité locale. Ce serait une révolution considérable dans la conception française de l'Etat, substituant à notre légicentrisme obsessionnel la confiance dans les acteurs de terrain, dans leur capacité d'initiative, d'adaptation et de compromis.

    La ritournelle de la simplification refait d'ailleurs surface. Le Premier ministre, reprenant un souhait de début d'année exprimé par son président, s'est engagé lors de la passation de pouvoir à entreprendre une « simplification drastique de la vie de nos entreprises et de nos entrepreneurs ». Mais est-ce une si bonne nouvelle ?

    Tout d'abord, on peut se demander pourquoi la simplicité serait réservée aux entrepreneurs, les autres étant donc priés de poursuivre leur errance dans le labyrinthe bureaucratique. La complexité normative génère de formidables injustices, les insiders bénéficiant des conseils de multiples intermédiaires parasites, et les outsiders se trouvant démunis face à la violence administrative. La simplification doit commencer par les plus fragiles pour être légitime socialement et politiquement.

    Paravent


    Ensuite, la simplification risque de devenir le paravent du déni écologique. Les Jeunes Agriculteurs, encouragés par la FNSEA, visent en fait, à travers leur sympathique mouvement, à contester les obligations de jachère ou la réduction des produits phytosanitaires. De même, les organisations patronales cherchent à profiter de la future loi de simplification Pacte 2 pour assouplir les normes environnementales. C'est là confondre la complexité et la contrainte. On ne saurait s'affranchir de la seconde au nom de la lutte contre la première. Une loi simple n'est pas laxiste, tout au contraire. En fixant dans le domaine agroécologique un cadre clair et strict, sans exception ni atermoiement, le gouvernement donnerait enfin un sens à sa politique agricole.

    Enfin, il est à parier que, faute de réflexion systémique, cette entreprise de simplification se termine, comme toutes celles qui l'ont précédée, par quelques avantages accordés aux meilleurs lobbyistes sans la moindre inflexion dans notre paradigme administratif. Ce ne sont pas seulement les panneaux de signalisation qu'il faut retourner. C'est l'Etat lui- même.


    © Gaspard Koening pour www.lesechos.fr/


     
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