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  • Quels enseignements tirer de la crise du coronavirus pour le changement climatique ? Entretien avec le climatologue Jean Jouzel

    Publié le 19 Avril 2021

    Lien vers l'article original: ici



    Un an après le début de la crise sanitaire du coronavirus, qui a progressivement éclipsé le reste, est-il possible de dresser un parallèle entre la pandémie et le changement climatique ?

    Que retenir de cette crise afin de lutter plus efficacement contre le plus grand défi auquel l'humanité est confrontée, celui du réchauffement climatique ? Le climatologue Jean Jouzel a pris le temps de nous livrer ses réflexions dans cet entretien.


    Tout d’abord, est-il possible de tracer un parallèle entre la lutte contre la pandémie de coronavirus et la lutte contre le réchauffement climatique ?

    Avant de faire un parallèle entre les deux crises, il faut comprendre les similitudes dans leurs causes. Même s'il n'existe pas de relations directes bien étayées entre la variation du climat et l'expansion de la pandémie (en dehors des variations saisonnières de cette dernière), il y a deux facteurs communs aux deux crises : la déforestation et la mondialisation.

    La déforestation participe au réchauffement en émettant des gaz à effet de serre et en réduisant le stockage naturel du carbone, elle met en contact les êtres humains avec des espèces sauvages favorisant ainsi la transmission des zoonoses. Quant à elle, la mondialisation des échanges accélère la transmission du virus, notamment avec le transport aérien de masse. La mondialisation joue un rôle dans le réchauffement climatique car elle s'appuie sur les règles de l'Organisation mondiale du Commerce qui visent à maximiser les échanges sans tenir compte du réchauffement climatique.

    Et la science dans tout ça ?



    Jean Jouzel en conférence à Reims en 2019. © G. Garitan, Wikimedia Commons, CC 4.0

    Le rôle des scientifiques n'est pas de faire des recommandations, mais de fournir un diagnostic. Il s'agit de la mission première du GIEC à laquelle je reste très attaché. La science doit dire les choses, mais il incombe bien aux dirigeants politiques de prendre les décisions. C'est peu ou prou ce qui se passe, en France, avec le Conseil scientifique pour la pandémie de Covid-19. Le président de la République prend en compte ses avis, mais on constate également que le gouvernement tient compte d'autres contraintes économiques et sociétales pour arrêter certaines mesures.

    Un an après le confinement en France, qu’est-ce que la crise sanitaire nous a appris en matière de lutte contre le réchauffement climatique ?

    La baisse de l'activité économique a entraîné une réduction des émissions de gaz à effet de serre de l'ordre de 6 à 7 % au niveau mondial et de 10 à 12 % en France. Pour parvenir à se mettre sur une trajectoire compatible avec l'objectif de limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C, il faudrait parvenir à réduire de 7 % par an les émissions de gaz à effet de serre au niveau planétaire. Il ne suffit donc pas de réduire l'activité économique pour se mettre sur cette trajectoire. Il faut avant tout changer le fonctionnement de nos sociétés et leur modèle de développement. Cela signifie concrètement repenser nos modes de production, transformer la manière dont nous produisons et consommons notre énergie, sans oublier d'aller vers plus de sobriété. C'est pour moi le principal enseignement de cette crise.

    Dans les deux cas, les solutions existent et sont connues. Leur mise en place se montre plus compliquée et lente que prévu. Les frictions et les difficultés se multiplient, et ce malgré l’envie commune et consensuelle d’en finir avec le virus ou le réchauffement. Comment l’expliquez-vous ?

    Dans le cas de la pandémie, ce n'est pas surprenant, nous n'étions pas préparés. Il y a eu une impréparation dès le départ car le virus était vu comme un phénomène lointain, cantonné à la Chine. Notre sentiment de supériorité nous conduisait à penser que nous serions épargnés grâce à un système de santé extraordinaire qui nous protégerait. Ça n'a pas été le cas. On peut toutefois se dire que la disponibilité des vaccins au bout d'une année se révèle un bon résultat. Nous sommes néanmoins à la limite de ce que nous sommes en mesure de produire sur la Planète. Dès lors, le moindre petit grain de sable rend les projections difficiles à tenir.

    Pandémie de Covid-19, en 2020-2021. © Tumisu, Pixabay, DP

    N’avez-vous pas l'impression d’un déjà-vu dans le sens où la crise sanitaire montre des scientifiques qui alertent sur une menace face à laquelle on semble réagir trop tard. N’est-ce pas un scénario similaire à ce qui se passe pour le climat ?

    En fait, à mes yeux en termes d'échelle de temps, si la pandémie devait être comparée à un problème environnemental, ce serait la pollution plutôt que le réchauffement climatique. Car, la pollution, comme la pandémie, est un problème immédiat. Par exemple, les effets d'une contamination par usine chimique de l'environnement sont immédiats. La pandémie s'est répandue dans un délai très court : le virus est arrivé en France en trois mois. Or le problème du réchauffement climatique est celui de l'échelle de temps : il y a plusieurs décennies d'écart entre les causes du réchauffement et ses conséquences principales.

    J'ai commencé à travailler dans le domaine du climat dans les années 1970. Dès le départ, j'étais convaincu des risques qu'on encourrait si on continuait à émettre des gaz à effet de serre. Dans les années 1980, le réchauffement climatique n'était pas vraiment là, pourtant le premier rapport publié en 1990 décrivait déjà la situation climatique qu'on vit actuellement. On n'a pas accordé assez de crédibilité aux scientifiques à cette époque-là. C'est pourtant à ce moment-là qu'il aurait fallu agir. Il y a bien sûr eu le protocole de Kyoto en 1997. Mais, en réalité, malgré des ambitions affichées dans le texte, les émissions de gaz à effet de serre ont continué d'augmenter. Elles ont doublé entre 1970 et aujourd'hui pour passer de 27 milliards de tonnes équivalents CO2 par an à plus de 55 milliards de tonnes. En dépit des efforts de la communauté scientifique, confrontée longtemps à un climato-scepticisme ambiant, nous avons parlé dans le vide car les rejets de gaz à effet de serre ont constamment augmenté, hormis en 2008-2009 avec la crise et en 2020.

    La difficulté majeure d'appréhension du changement climatique réside dans ce décalage temporel qui conduit à ce qu'il faille que ses effets soient perceptibles et commencent à se faire sentir pour que les décideurs et les gens prennent conscience du problème. Or, il aurait alors fallu agir dès le départ, soit quelques décennies plus tôt. Avec le virus, les effets étant immédiats, on a su réagir rapidement.

    Comment faire pour que non seulement les dirigeants mais aussi la société entendent ce que la science a à dire, et dans toute sa complexité ? Sommes-nous condamnés à attendre qu’il soit trop tard pour agir ?

    Dans le domaine du climat et de la santé, la recherche a besoin d'être encouragée, soutenue, respectée et écoutée. En effet, je reproche un peu aux citoyens et aux décideurs d'écouter de loin le message de la science en disant "Vous nous embêtez là, on verra bien quand la catastrophe adviendra". Pour la pandémie, la situation a été différente puisque le problème et ses répercussions étaient là quasiment de suite.

    Les trente dernières années ont démontré la solidité de la communauté scientifique du climat. Je continue de plaider pour que l'on accorde une crédibilité à la parole des scientifiques. De plus, la recherche a également besoin d'un soutien important. Il est nécessaire de maintenir des recherches qui peuvent paraître inutiles pendant des décennies. J'ai l'impression que, tant qu'il n'y a pas eu de problème, l'épidémiologie était oubliée et que cette dernière ne disposait pas de mécanismes d'alerte aussi développés que ceux existant pour le climat.


    La communauté scientifique doit pouvoir alerter tant en son sein que vers le reste de la société. La mise en place du GIEC va dans ce sens. Je pense que l'épidémiologie ne dispose pas encore d'une base commune équivalente au GIEC pour le climat. Il faudrait avoir pour l'OMS une synthèse commune des risques encourus par la communauté internationale sur les questions de santé. On peut rétorquer que le GIEC ne suffit pas. Pourtant, en 2018, ce dernier a dit que l'objectif 1,5 °C requiert d'atteindre la neutralité carbone d'ici 2050. Et 3 ans après, l'objectif de neutralité carbone est inscrit dans les projections et les objectifs de plus de 80 pays. On trouve parmi eux, les États-Unis de Joe Biden, l'Union européenne et la Chine qui se fixe cet objectif pour 2060. C'est quand même fort de voir qu'en 2 ans cet objectif a été inscrit dans les textes. Mais il reste encore un écart énorme entre les textes et la réalité puisqu'il faut multiplier par 5 nos efforts d'ici 2030 afin de rester, à long terme, sous le seuil de 1,5 °C de réchauffement planétaire.

    La pandémie a mis en lumière la complexité des indicateurs à prendre en compte afin de prendre une décision. Est-ce la même chose pour le climat ?

    Il suffit de regarder le plan de relance. Il se dit vert pour 30 milliards d'euros tandis que les 70 autres milliards contribueront clairement à des augmentations des émissions de gaz à effet de serre bien que l'État affirme le contraire. Le Haut Conseil pour le Climat l'a bien indiqué. L'ambition de ce plan est de sortir du bourbier des secteurs comme l’aérien ou l'automobile ; or il faudrait changer notre mode de fonctionnement et se projeter dans l'avenir. On ne le fait jamais alors qu'on sait depuis 30 ans que ces secteurs posent des questions en termes de gaz à effet de serre. Ce que l'on fait dans la réalité est contraire au message des scientifiques qui appellent à plus de sobriété et à augmenter l'efficacité énergétique. Certes, ce plan vise à sauver des pans entiers de l'industrie, mais il risque de contribuer à une augmentation de nos émissions de gaz à effet de serre.
    L’argent reste central. On sait bien que ne pas agir coûte plus cher que des politiques de prévention et d’anticipation. Pensez-vous que pour le climat la leçon aura été retenue ?

    Pour le climat, c'est très clair depuis le rapport Stern de 2005 qui disait que l’inaction climatique coûtera plus cher que d'agir dès à présent pour lutter contre le réchauffement. Les derniers rapports du GIEC confirment que ne rien faire entraînera des coûts importants pour s'adapter et que cela sera tout bonnement impossible dans certaines régions. Mais, le long terme reste sacrifié au profit du court terme. Ce dernier n'est pas qu'électoraliste, les gens tiennent à garder leurs emplois.

    Une vraie vision politique prend en considération le moyen et le long terme, elle envisage une transition écologique porteuse de développement et d'emplois. Le manque d'anticipation constitue la marque d'un manque d'esprit politique. De telles projections semblent difficiles, voire impossibles, dans le système politique dans lequel nous vivons. Ce qui fait que le système chinois, qui est autoritaire et laisse peu de place aux choix individuels, apparaît plus capable d'anticiper l'avenir car il y est possible de programmer sur des échéances longues.



    En France, nous n'avons même plus de plan. L'anticipation est essentielle, pourtant elle nous manque. À chaque fois, dans les textes et les discours, la lutte contre le dérèglement climatique est la priorité. Et, elle devrait l'être car le réchauffement exacerbe tous les autres problèmes, pas que ceux environnementaux. Toutefois, la réalité est que, à chaque fois, il y a quelque chose de plus prioritaire comme les emplois, le bien-être des gens, la satisfaction de la consommation ou la possession d'une grosse voiture. Le climat se voit toujours relégué au rang de deuxième priorité.

    Dans la pandémie, l’accent a été mis sur le vaccin. Ne craignez-vous pas que, pour le climat, on se repose trop sur les technologies au détriment des mesures comportementales ou de réduction de notre impact comme la sobriété ?

    C'est ma crainte ultime, celle de de l'écologie dite réparatrice. Elle consiste à dire et à croire qu'on pourra toujours trouver les solutions une fois que le problème sera là. Penser qu'on pourra arrêter l’élévation du niveau de la mer, par exemple, est une erreur.

    Bien sûr, la technologie et l'innovation ont un rôle à jouer. Mais, elles n'ont de sens que si elles sont évaluées en termes de cycle de vie et en fonction de leur non-contribution au réchauffement climatique. Il ne faut mettre en œuvre que les innovations qui vont dans le bon sens, celui de la transition écologique et de la réduction des émissions de gaz à effet de serre. L'innovation et la recherche ne doivent pas porter que sur la technologie. Il faut qu'elle soit aussi sociétale et culturelle.


    Les gens aspirent à avoir des emplois et avoir une certaine qualité de vie. Ces demandes doivent guider la transition de nos sociétés tout en tenant compte de l'impératif climatique. Ce sera certainement des sociétés plus sobres avec plus de liens entre les individus, avec plus d'éducation, avec plus d'innovations sociétales et culturelles. Les paramètres de qualité de vie se montrent importants pour obtenir l'adhésion des populations à la lutte contre le réchauffement et donc à son succès. Or, le dérèglement climatique accroît les inégalités et des sociétés plus inégalitaires peinent à lutter contre le réchauffement.

    Comment s’assurer de l’acceptabilité sociale sur les mesures de lutte face aux changements climatiques sachant que les résultats ne seront pas visibles de sitôt ?

    À l'image de ce qui a été entrepris dans la lutte contre la pandémie, on peut employer les grands moyens. En France, il faudrait mettre 20 milliards d'euros supplémentaires chaque année afin de lutter efficacement contre le réchauffement. Cette somme correspond à ce que l'État met actuellement sur la table chaque semaine pour faire face à la crise sanitaire et économique. Il faut injecter de l'argent dans la transition. Je rappelle ce slogan du Pacte Finance-Climat européen : on a bien su trouver 1.000 milliards pour sauver les banques, on peut donc bien mettre 1.000 milliards au niveau européen pour sauver le climat. La transition écologique est inéluctable. Les jeunes n'accepteront pas de vivre dans un monde à + 4 ou + 5 degrés. De plus, les pays s'engageant dans cette transition y gagneront économiquement. L'économie basée sur les énergies fossiles est un modèle du passé. Il faut accepter d'aller vers un modèle économique différent dans lequel le PIB arrêtera de croître tout en ayant des emplois et une meilleure qualité de vie.


    © Julien Leprovost pour futura-sciences.com et pour GoodPlanet Mag


     
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